Les indicateurs complémentaires au PIB : état des lieux et chemins de progrès


octobre 2012

Une étude sur les obstacles principaux à l’émergence franche d’ indicateurs complémentaires au PIB. Quatre grandes préconisations pour favoriser leur adoption, dont la relation au PIB, la nécessité d’un indicateur synthétique, d’institutions championnes, et de contributions citoyennes.

Résumé

Cette étude sur les indicateurs complémentaires au PIB réalise un état des lieux quant à leur développement, identifie les blocages à leur utilisation, et détaille des chemin de progrès.

Les obstacles principaux identifiés sont l’omniprésence du PIB surtout en période de crise, une maturité insuffisante des indicateurs complémentaires au PIB, une absence de porte-voix ou champions pour les porter, et enfin une médiatisation insuffisante. Le rapport donne lieu à 4 grandes préconisations. Tout d’abord, la promotion des nouveaux indicateurs existants ainsi que celle de l’insuffisance du PIB doivent être menées de front, pédagogiquement et médiatiquement. Ensuite, seul un indicateur synthétique unique (ou quelques chiffres clés tout du moins) pourra rivaliser avec le PIB. Par ailleurs, une institution « championne » doit émerger pour porter la démarche, et rallier les autres. Enfin, la société civile doit être associée à la construction de la 2e génération de ces nouveaux indicateurs.

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« Mais pourquoi personne n’entend parler des indicateurs complémentaires au PIB ? » Ainsi pourrait se résumer le constat de départ ayant déclenché le projet Européen de recherche Brainpool. A la suite d’une collaboration avec l’IPPR et l’Université de Toulouse II et de ses propres recherches, la Fabrique Spinoza est aujourd’hui en mesure d’apporter des réponses.  

Pour cerner les enjeux, repartons du constat suivant : un large consensus existe sur les insuffisances du PIB, techniquement – une catastrophe naturelle augmente celui-ci – et idéologiquement – son augmentation n’est pas forcément synonyme de progrès. Comme première proposition, on peut donc souhaiter que la promotion des insuffisances du PIB se poursuive [P5]. 

Mais alors, si le PIB est reconnu comme insuffisant, pourquoi observe-t-on une faible utilisation des indicateurs complémentaires ? Que s’est-il passé ? En 2008, commanditée par l’Elysée, la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi donnait une forte visibilité au sujet en enquêtant sur « la mesure de la performance économique et du progrès social ». A la suite de ces travaux se sont développées de nombreuses initiatives à différents échelons : local pour expérimenter (en région par exemple, comme dans le Poitou-Charentes), international pour harmoniser les travaux (projet Eframe de l’Union Européenne), et dans une moindre mesure national (Association des Régions de France par exemple). De l’analyse d’un haut serviteur de l’Etat, nous connaissons actuellement une phase d’expérimentation-innovation où foisonnent les projets de nouveaux indicateurs et nous nous rapprochons progressivement d’une phase de consolidation-harmonisation des savoirs et de ces initiatives. Il faut donc continuer à encourager l’expérimentation, tout en mettant à profit ces « initiatives cadres » pour la convergence [P9], et accepter la coexistence de travaux (et donc ensuite d’indicateurs) qui soient non-harmonisés à différents échelons [P12]. 

Mais qu’en est-il en particulier des initiatives nationales, c’est-à-dire celles avec le plus fort potentiel médiatique ? On peut opérer deux constats. Le premier est que les initiatives nationales françaises sont focalisées sur le développement durable – comme les indicateurs liés à la Stratégie Nationale de Développement Durable – et peu sur les enjeux de bien-être, ce que l’on peut regretter car des initiatives importantes internationales sont conduites sur le sujet (Happy Planet Index, OCDE, etc.).  

Deuxième constat, on observe que les initiatives nationales conduites sont prometteuses mais perfectibles (notamment parce qu’antérieures à la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi). Dans la foulée des nouveaux indicateurs de 1ère génération (IDH, BIP401, etc.), elles appellent donc la création de nouveaux indicateurs de 2e génération, qui prendraient en compte les recommandations de la Commission. Cette 2e génération d’indicateurs devrait conjuguer la plupart des qualités requises comme la traçabilité, la robustesse, la légitimité démocratique, la largeur de spectre, la prise en compte de la durabilité, etc.  Parmi les qualités à cultiver en priorité dans cette 2e vague d’indicateurs, l’accent devrait être mis sur la simplicité et la communicabilité, afin de favoriser leur médiatisation. 

En lien avec cet enjeu de visibilité, des débats idéologiques et techniques existent pour savoir si les nouveaux indicateurs doivent être synthétiques. Le fruit de nos enquêtes révèle qu’il semble prometteur d’aller au-delà des simples tableaux de bord et de mettre en avant un chiffre unique (ou quelques chiffres phares), dont s’empareraient les médias. Selon certains, il s’agit du seul moyen d’être sur un pied d’égalité médiatique avec le PIB [P6]. 

Quant à savoir à quoi ressemblerait de manière globale ce nouvel indicateur, il apparaît important qu’il puisse capturer les enjeux fondamentaux suivants : le bien-être présent, le bien-être futur (la durabilité), la répartition du bien-être entre les gens (les inégalités), le patrimoine (le potentiel de bien-être), le bien-être régional (la répartition spatiale du bienêtre). L’architecture de ces nouveaux indicateurs doit donc être explicitée [P13] afin de pouvoir capturer ces différentes facettes. Ces différents enjeux ne peuvent être agrégés en un chiffre global car ils ne sont pas substituables. En revanche, collectivement, ces quelques chiffres symboliques pourraient être les contrepoints au PIB [P6]. Il s’agit donc de construire de nouveaux indicateurs de 2e génération constitués de ces quelques chiffres clés, pouvant ensuite être détaillés via un tableau de bord, en sous-dimensions, en sous-territoires, etc. 

A contrario, si, effectivement, il y a nécessité pour de nouveaux indicateurs plus évolués, il n’y a en revanche pas à attendre leur élaboration pour travailler sur leur médiatisation : la communication peut commencer dès maintenant. Il faut par exemple décomplexer les pensées par rapport à l’état de perfection des nouveaux indicateurs existants de 1ère génération. S’il leur est reproché d’être inaboutis, soulignons que le nouvel indicateur adéquat prendra un temps long pour trouver sa forme définitive. Comparativement, il aura fallu 50 ans au PIB pour être ce qu’il est aujourd’hui, alors qu’il demande encore à être amélioré. Il ne faut donc pas attendre pour donner de la visibilité aux nouveaux indicateurs. Celle-ci pourrait passer par un travail sur leur forme actuelle pour les rendre plus attrayants [P4], par une sensibilisation des médias [P1], par une mise en avant des limites du PIB [P5] sur des exemples concrets de l’actualité (catastrophe naturelle, etc.) ou par l’institutionnalisation de leur présentation aux assemblées [P3]. 

Au-delà de la médiatisation de l’existant, il faut également construire les nouveaux indicateurs de 2eme génération. Pour cela, la recherche confirme qu’un fort leadership est requis. La diversité des initiatives et des acteurs (les trois assemblées constitutionnelles, le gouvernement, l’INSEE, les régions, FAIR2, le monde académique, etc.) travaillant sur le sujet confirme le besoin de coordination par une institution forte (l’exécutif ou une assemblée par exemple) qui souhaiterait prendre la tête de l’initiative [P7]. 

Certains rétorquent qu’il suffirait d’utiliser les statistiques existantes de l’INSEE pour construire ces nouveaux indicateurs. Une première réponse est que l’INSEE ne s’estime pas légitime pour réaliser ce travail. Une deuxième réponse est que pour être légitime, un tel indicateur nécessite une consultation des citoyens [P10]. Il faut en effet voir les indicateurs autant comme un processus que comme une finalité. Le chemin démocratique permettant leur construction décidera de leur validité et permettra d’en retirer tous les fruits sociétaux, y compris en termes d’inspiration nationale. Or une telle consultation – indirecte via les représentants du peuple et les corps intermédiaires, et directe via les enquêtes – nécessite justement un engagement fort de l’exécutif ou du législatif. Une telle consultation devrait de surcroit incorporer une phase délibérative pour faire émerger une vision du bien commun. 

On peut alors interroger la place d’une démarche émanant de la société civile, c’est-à-dire une démarche de bas en haut (« bottom-up ») dans un tel processus de haut en bas (« top-down ») où le leadership est fort. Les entretiens de recherche font ressortir la profonde nécessité des deux approches : tout d’abord une démarche citoyenne initiale [étape 1] aboutissant à la mobilisation d’un « champion institutionnel » [étape 2], qui lancerait ensuite une démarche nationale d’envergure [étape 3], dans laquelle la société civile serait sollicitée [étape 4]. 

Parmi les enjeux ayant émergé au cours de ces travaux de recherche, on trouve également l’interrogation sur la pertinence de ces outils dans le paradigme économique et sociétal actuel. Les recherches ont permis d’éclairer la diversité des rôles possibles de ces nouveaux indicateurs : d’alerte, de communication, d’évaluation des politiques, d’aide à la prise de décision mais aussi de transformation des mentalités. Ils ont donc aussi un rôle performatif. Il n’y alors pas lieu d’attendre un changement de modèle économique ou de société pour les mettre en avant. C’est tout le contraire : leur visibilité participe à la transformation de la société, mettant au débat de nouveaux caps possibles. La mise en avant des nouveaux indicateurs et même l’élaboration de la 2eme génération, doit donc se conjuguer avec une réflexion sur un nouveau paradigme de développement mais ne nécessite pas d’attendre l’émergence de celui-ci. [P8] 

Une question cruciale se pose ensuite : ces enjeux sont-ils pertinents en période de crise économique ? Un certain nombre d’arguments suggère d’y répondre positivement, comme la nécessité de fixer un cap juste à notre société, un cap d’amélioration de ce qui compte vraiment pour les gens. Toutefois, en ces temps troublés, un autre argument vient renforcer la pertinence de ces sujets : l’économie est un haut lieu de prophéties auto-réalisatrices. La réflexion commune sur de nouveaux indicateurs de développement est susceptible de redonner de l’espoir et de l’inspiration pour un but commun. S’il faut bien travailler à renforcer l’appareil productif, augmenter la compétitivité, générer de l’innovation, pour autant, sans la confiance des ménages, un réenchantement économique et sociétal pourra difficilement naître. Une initiative nationale de réflexion sur ce qui importe pour les gens est susceptible de favoriser ce réenchantement. 

Le Comité Economique Social Européen dans son avis du 21 juin 20123 le formulait ainsi :  « Pour assurer la reprise économique et la résolution même de la crise, il y a lieu de changer le paradigme de référence, en fondant le développement sur le bien-être et le progrès de la société). Cette approche est la seule qui permette de porter davantage d’attention aux causes qui sont à l’origine de cette crise et de la rechute récente de l’Europe dans la récession, afin de les jauger et d’élaborer les politiques les plus appropriées, à bref comme à moyen et long terme. Sous cet angle, les politiques de l’UE représentent un défi particulièrement stimulant. Le CESE rappelle dès lorsqu’il s’impose de vaincre les résistances et les manœuvres d’atténuation qui s’opposent à ce qu’à côté) des indicateurs traditionnels, de nature purement économique et financière, d’autres soient instaurés et suivis, concernant la durabilité )économique, sociale et environnementale, car c’est précisément de cette manière que la crise qui se déroule actuellement pourra être contenue et mieux gérée. » 

In fine, devant la nécessité de faire avancer l’aventure des indicateurs complémentaires au PIB, on constate que le progrès pourra tout autant provenir • des médias décidant de donner de la visibilité aux baromètres existants, • que d’une « institution championne » décidant de porter l’initiative • ou encore d’une mobilisation citoyenne parvenant à convaincre une institution timide d’être plus volontaire. A une époque de quasi-récession économique, réalisant que 89% des Français déclarent que « le mieux-vivre pourrait constituer un but commun »4, le gouvernement serait inspiré de saisir cette opportunité des indicateurs complémentaires au PIB car elle est porteuse politiquement, vertueuse en termes de société, mais surtout parce qu’elle constitue une possibilité de favoriser le retour à la prospérité économique en inspirant et redonnant confiance aux Français. Le 5 juillet, suite à des échanges avec la Fabrique Spinoza, le président du Groupe Ecologiste du Sénat, posait une question écrite au gouvernement, demandant quelle était sa stratégie sur les indicateurs depuis la Commission Stiglitz-SenFitoussi. La réponse du Ministère de l’Economie et des Finances est fort attendue … 

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